Plein de fourmis courent le long des branches du cerisier (du prunier, du pêcher….) , des tiges d’artichauts, des rameaux des rosiers. L’angoisse saisit alors le jardinier. En effet comment ne pas faire automatiquement l’équation fourmis = pucerons ?
Je vous propose un autre regard sur ces insectes. Afin de comprendre que non, les fourmis de nos jardins, ce n’est pas grave. Bien au contraire. Ne vous battez plus contre elles : observez-les.
Quand les plantes draguent les fourmis…
Les fourmis et les plantes coexistent depuis la nuit des temps. pas étonnant donc qu’elles aient tissé des relations privilégiées, un contrat d’intérêt réciproque que l’on nomme « myrmécophilie ». Ce mutualisme est bien connu dans les Tropiques. Ainsi, plusieurs végétaux possèdent des épines creuses, des replis et d’autres organes dédiés aux fourmis afin de leur offrir gîte et protection.
Nos jardins de climat tempéré ne sont pas en reste. Les plantes y développent plusieurs stratégies pour les attirer.
Les fourmis, cupidons involontaires
Vous craignez que les fourmis prennent les graines de vos semis ? Ne vous inquiétez plus : les espèces de nos jardins ne s’intéressent pas aux semences des plantes cultivées. Elles partent en quête de graines de plantes bien précises : celles qui portent un élaïosome.
Il s’agit d’un corps gras spécialement conçu pour attirer les fourmis qui se nourrissent des lipides qu’il contient. Les insectes les transportent donc à la fourmilières, en perdant quelques unes en chemin. Les élaïosomes consommés, les graines sont rejetées. Ainsi disséminées, elles peuvent alors germer loin de leur plante “mère”.
Les plantes qui dotent leurs semences d’un élaïosome pratiquent ce que l’on appelle la myrmécochorie, le transport de graine par les fourmis. ce sont essentiellement des plantes sauvages : rumex, violette, chélidoine…
Deal végétal : nectar contre milice
Le saviez vous ? Partout autour de vous des plantes sont d’ irrésistibles bistrots à sucre pour les fourmis. Il est bien connu que les fleurs produisent du nectar à destination des butineurs. Leur but est clair : utiliser ces gourmands pour transportent les grains de pollen de corolles en corolles et assurer ainsi la reproduction. Et bien les plantes font de même pour aguicher les fourmis.
Elles élaborent du nectar grâce à des organes spéciaux, des « nectaires extra-floraux», qui vont se situer à divers endroits, stratégiques. Ces nectaires s’observent à la base des feuilles des cerisiers (deux minuscules glandes rouges), sur les calices des fleurs de la bignone, sur le pétiole des toutes jeunes feuilles des fèves (de petits points noirs), etc. Ainsi à toute heure, la plante exsude du nectar pour inciter les fourmis à venir visiter leurs organes les plus précieux (et les plus fragiles). Mais pourquoi une telle dépense d’énergie ?
Les fourmis sont des auxiliaires !
Si les plantes élaborent des stratégies pour attirer les fourmis c’est que celles-ci leur sont utiles. Pour comprendre à quoi il est nécessaire de rappeler que ces insectes sont des animaux sociaux. Plus que cela : on dit qu’ils sont “eusociaux” tant ils sont organisés et hiérarchisés.
Bienvenus dans la fourmilière
Les fourmis se répartissent en deux castes : les reines en nombre très réduit, seules à être fertiles et qui produisent des larves et les ouvrières, stériles. Chacune de ces dernières est affectée à une tâche bien précise: nettoyer, ventiler, s’occuper des oeufs puis des larves. Ce sont des fourmis “minors”, qui restent dans la fourmilière. Chaque jour, un très grand contingent de fourmis “médias” vont partir à l’extérieur afin de ramener de la nourriture. Elles forment des colonnes de chasse qui sont protégées par des fourmis soldats, des “majors”. Ce sont elles qui, dotées d’un aiguillon et de venin, peuvent “piquer” tous les animaux qui menacent, humains compris.
D’infatigables chasseuses
Et les pucerons dans tout cela ?
Les fourmis font ainsi d’incessants allers-retours pour apporter des vivres à la fourmilière. Mais que consomment-elles ? Des sucres bien sur, notamment ceux fournis par les nectaires des plantes. Mais pas seulement ! Elles se mettent en chasse d’un casse-croûte plus consistant, riche en protéines et en lipides. Elles trouvent ces nutriments en attaquant de petits insectes, leurs larves et leurs œufs. Donc gare aux chenilles qui se trouvent à proximité ! Voilà pourquoi les plantes attirent les fourmis : pour que ces gardes du corps les protègent des bestioles grignoteuses de verdure. En contre-partie, elles les rétribuent en leur offrant du nectar à volonté.
Mais la production de nectar 7 jours sur 7, 24 h sur 24 représente une grosse dépense d’énergie pour les plantes. Comment les plantes peuvent-elles s’économiser ? Et comment font celles qui ne possèdent pas de nectaires ? Les végétaux sous-traitent… aux pucerons.
Les pucerons, c’est moche mais ce n’est pas grave !
Dans ce deal, les plantes font une bonne affaire ! En effet les pucerons prélèvent bien moins de sève pour excréter leur miellat qu’il n’en faut aux végétaux pour produire leur nectar.
Chers jardiniers, je sais que c’est difficile à croire mais dans les jardins, les attaques de pucerons, même les plus fortes, les plus impressionnantes, n’affectent pas les végétaux. Observez où ces insectes se trouvent localisés. Ils sont toujours groupés autour des jeunes pousses, là où les tissus sont les plus tendres, gorgés en eau et en sucres.
Lorsque l’on n’intervient pas on peut constater qu’en quelques jours les rameaux se sont développés, les boutons de fleurs se sont épanouis, les fruits se sont formés (même lorsque le feuillage est boursouflé)… et les pucerons qui les envahissaient ont disparu. Soit parce qu’ils se sont déplacés sur de nouvelles pousses tendres, soit parce qu’ils ont terminé leur cycle de vie et ce sont envolés ailleurs. Oui, envolés ! C’est ainsi que les pucerons se transportent de plante en plante. Sans compter qu’un certain nombre d’entre eux sont dévorés par leurs prédateurs : coccinelles bien sur mais aussi syrphe, chrysope, oiseau, micro-guêpe…
Les fourmis, des éleveuses de pucerons, vraiment ?
Que reproche t’on aux fourmis ? De favoriser la présence des pucerons. Pire : de les élever. Telles des bergères, les fourmis transporteraient les troupeaux de pucerons puis les protégeraient des attaques de leurs prédateurs, notamment des coccinelles. Ce qui est vrai… parfois et très relativement.
Nous l’avons vu plus haut : les pucerons n’ont pas besoin des fourmis pour s’installer sur une plante. Et les fourmis ont bien d’autres sources de sucres que le miellat des pucerons.
Par ailleurs, si les fourmis peuvent s’attaquer parfois aux coccinelles ou autres prédateurs qui les dérangent dans leur traite des pucerons, elles ne montent pas la garde (leur mission est de ramener de la nourriture à la fourmilière) et elles laissent la plupart des auxiliaires venir faire bombance dans la colonie des piqueurs-suceurs. Les fourmis participent d’ailleurs à la régulation des pucerons : s’ils deviennent trop nombreux, elles en grignotent quelques uns.
Les trucs anti fourmis cela ne marche pas !
Cannelle, citron, piment, lavande, menthe, poudre de diatomées, craie, marc de café, la chaux… aucune poudre, aucune plante ou épice n’est répulsive des fourmis. On peut avoir l’impression que “cela fonctionne”… mais ce n’est pas objectif.
L’emploi de substances et de végétaux très odorants se comprend bien : on peut imager que leurs parfums perturbent les fourmis. Mais non seulement comme tous les insectes elles ne perçoivent pas les fragrances comme le fait notre nez mais les fourmis émettent et sont totalement dirigée par des substances que nous sommes incapables de percevoir : des phéromones. Elles en ont tout un panel qui sont autant de messages biochimiques. Ils leur servent à se reconnaître entre elles, à lancer l’alerte si des ennemis menacent. Les fourmis marquent également les pistes à emprunter vers des sources de nourriture. Non seulement elles indiquent la quantité de provisions à récolter mais également la qualité de celles ci : source de glucides, de lipides, de protéines. Un cordon de cannelle ou de marc de café les laissent totalement indifférentes.
En conclusion, stop aux remèdes anti fourmis !
Place au lâcher prise. Les plantes rémunèrent avec un peu de sève des pucerons qui vont attirer les fourmis en leur fournissant du miellat. Rassasiées ces dernières vont chasser et donc limiter les chenilles et autres bestioles grignoteuses de la plante qui les accueille. Voilà une vraie collaboration entre les plantes, les fourmis et les pucerons. C’est un contrat tripartite.
Dès lors pourquoi le jardinier viendrait-il rompre cet équilibre ? Pourquoi empêcher les fourmis d’accéder aux rosiers et autres arbustes alors que ceux-ci déploient toute une stratégie pour les attirer ? Quant aux pucerons… tout est affaire de tolérance. Je les supporte mal sur mes seringats mais les accepte sur mes rosiers. Ils y sont discrets et m’offrent, chaque début de printemps la ravissante vision d’un ballet d’oiseaux venus s’en délecter.
En savoir plus
- “Nectar contre gardes du corps : un deal mutualiste“ sur le blog Zoom Nature
- “Les Fourmis : Comportement, Organisation Sociale et Évolution“, de Luc Passera et Serge Aron
- “En savoir plus sur les fourmis“, un dossier réalisé par Luc Passera sur Futura science
- Quelques exemples de plantes pratiquant la myrmécochorie sur le blog Myrméchochorie.fre
Dans la série SOS jardin : Les limaces attaquent : au secours !